Le Film Noir, acte II
Voici la présentation de quelques films, comme autant de jalons sur le parcours du Film Noir
Les oeuvres marquantes du genre
En ne prenant le parti de présenter quelques films importants, cette liste va donc forcément être incomplète, oubliant injustement certaines oeuvres qui auraient dû être mise en avant. J'ai surtout voulu établir non un ordre chronologique, mais un panorama représentatif d'une partie du Film Noir avec ce qu'il peut y avoir à retenir.
Orson Welles et ses films noirs
La Dame de Shangaï (The Lady of Shangaï) 1947
Le marin Michael O'Hara (Orson Welles) s'embarque pour une croisière invité par un brillant avocat, Arthur Bannister, et sa séduisante épouse, Elsa (Rita Hayworth). O'Hara tombe amoureux de Elsa, et un complice va lui proposer d'assassiner son mari afin de pouvoir s'enfuir avec elle.
Le style sans retenue de Welles pourrait paraître étonnant ici, mais il s'adapte sans problème au Film Noir, comme il continuera à le montrer dans la suite de sa carrière. Habitué aux succès d'estime mais désastres financiers de ses projets, La Dame de Shangaï est une oeuvre faite pour rembourser ses dettes auprès de la Columbia. La maison est désireuse de profiter du projet pour promouvoir une de ses stars. Ce sera Rita Hayworth, tout juste divorcée de Welles, qui sera la vedette. Ce dernier pour les besoins du film osera faire couper court les cheveux de l'actrice, et la fit teindre blonde platine, devenant la femme fatale désirée pour le genre. La mise en scène offre un film aux images sophistiquées, baignant dans un cynisme et une suspicion digne du genre. Il se conclue sur une scène désormais mythique dans le palais des glaces où O'Hara poursuit le couple Bannister. Le reflet de Welles se multiplie à l'infini comme dans un rêve et montre sa maîtrise tout le long en jouant avec ces reflets.
La Soif du Mal (Touch of Evil) 1957
Alors que Mike Vargas (Charlton Heston) est en voyage passe dans une ville frontière au Mexique, il assiste à l'assassinat d'un puissant homme d'affaires. L'enquête va le conduire à se confronter au shérif local, Hank Quinlan (Orson Welles) dont les méthodes ne semblent pas très légales.
Une fois de plus Welles joue avec les codes et le style avec exagération, pour en faire une oeuvre flamboyante. L'ouverture en plan séquence pendant une fête locale lance littéralement un feu d'artifice, qui va entraîner les personnages dans un univers crépusculaire sur un rythme incroyable. On retiendra ici Orson Welles dans un rôle de policier véreux face à Charlton Heston en pleine gloire (il en profitera dit-on pour influencer la production afin d'engager Welles à la réalisation) dans un rôle peu commun de policier mexicain, et l'apparition étrange mais magnifique de Marlène Dietrich.
Orson Welles face à une ténébreuse Marlene Dietrich
Les classiques du Film Noir
La griffe du passé (Out of the past) de Jacques Tourneur, 1947
Jeff Bailey (Robert Mitchum) doit retrouver Whit Sterling (Kirk Douglas) une ancienne connaissance, qu'il avait trahi pour fuir avec Kathie Moffatt, celle qu'il était censé retrouver. Arrivant à son rendez-vous, il se rend compte que Kathie est revenu auprès de Whit, se préparant sans doute à un nouveau coup fourré.
La carrure massive et l'attitude laconique de Robert Mitchum en fait le héros ténébreux parfait de ce film noir. Mais s'il faut retenir quelque chose ici, c'est la présence du réalisateur d'origine française Jacques Tourneur. Il était jusque là spécialiste de films considérés comme fantastiques qui contiennent en fait plus des éléments d'ambiances et de psychologie que du surnaturel (La féline, Vaudou, L'homme léopard). Il va utiliser son extraordinaire capacité à rendre les ambiances oppressantes uniquement par le jeu des lumières et des décors, à souligner l'aspect sombre et secret de ses personnages, pour faire un Film Noir hautement symbolique. Celui-ci prenant place généralement dans un milieu urbain glauque, Tourneur va même jusqu'à utiliser un scénario se passant au Mexique et dans un cadre aussi lumineux que le désert, sans faire perdre de force son style.
L'enfer est à lui (White heat) de Raoul Walsh, 1949
Cody Jarrett (James Cagney) sème la terreur avec son gang, sous l'influence d'une mère sournoise. Pour éviter d'être inculper d'un braquage sanglant, il va avouer un vol mineur et se retrouver en prison, où un agent du FBI va essayer de gagner sa confiance pour le trahir.
White Heat est un film d'une rare intensité, où James Cagney livre toute son énergie pour donner vie à un personnage qui restera gravé dans les mémoires. Violent et instable, son rôle se compose des pires excès, qu'il arrive à rendre crédible et effrayant. L'ambiguité du rapport Mère fils, la présence d'une femme fatale qui ne réussira pas à manipuler ces hommes psychotiques, jusqu'à la mémorable scène finale, la tragédie de ce film dépasse le cadre d'un simple film de gangster pour afficher une âme noire en tout point.
La nuit du chasseur (The night of the hunter) de Charles Laughton, 1955
Ben Harper (Peter Graves) cache l'argent d'un cambriolage auprès de ses enfants avant d'être arrêté et condamné à mort. Il révélera son secret à son compagnon de cellule, Harry Powell (Robert Mitchum) qui, déguisé en pasteur, séduit les veuves pour les voler avant de les tuer. A sa sortie de prison, il va essayer de retrouver auprès de la famille Harper l'argent volé.
La seule réalisation de l'acteur Charles Laughton est un chef d'oeuvre onirique, qui laisse des images fortes marquer la mémoire. Le tueur incarné par Mitchum est devenu célèbre simplement avec les quelques lettres écrites sur ses phalanges (Love et Hate), et nous fait tout au long du film un numéro d'ange noir magnifique. Ce conte cauchemardesque n'utilise pas non plus le décor classique de la ville oppressante, mais d'une campagne puritaine et hypocrite, qui tente tant bien que mal de survivre à l'abandon de ses forces vives parties dans les métropoles lors de la Dépression.
L'ultime razzia (The killing) de Stanley Kubrick, 1956
A sa sortie de prison, Johnny Clay (Serling Hayden) va tenter de définitivement assurer sa retraite en préparant un hold-up audacieux dans un hippodrome.
Le film précédent du maître était Le baiser du tueur (Killer's Kiss), très proche du film noir. Avec L'ultime razzia, il va signer un classique d'une grande précision, comme il a souvent été l'auteur dans sa carrière, très proche dans beaucoup de points de Quand la ville dort de Huston, tant au niveau du scénario que des acteur eux même. Le film est rythmé par les changements de scènes montrant les différents protagonistes de l'affaire dans des lieux et situations différentes, que pourtant un point commun réuni. Ils ont tous une vie médiocre, et espère que ce hold-up sera le coup de baguette magique qui exaucera leurs rêves. La réaliste reprendra le dessus. La distribution comporte des valeurs sûres du film noir, qui vont jouer leur rôle à merveille pour conduire l'intrigue vers un dénouement qui finalement ne surprend pas, ce qui rend le film un peu plus sombre et désespéré.
Traquenard (Party girl) de Nicholas Ray, 1958
Tommy Farrell (Robert Taylor) est l'avocat de Rico Angelo (Lee J. Cobb) un caïd des années trente. Il tombe amoureux de Vicky Gaye (Cyd Charisse), une danseuse de cabaret. Dès lors il fera son possible pour quitter le milieu criminel pour vivre avec Vicky Gaye.
Dernier de la liste, ce film clôt une époque du film noir. Seul de cette liste à être réalisé en couleur, il n'en reste pas moins une peinture des illusions perdues digne du talent et du style Nicholas Ray. Il emploie à merveille deux gloires de la MGM dans des rôles complexes. Le couple Farrell - Gaye sont conscients de leur dérive morale dans les bas fonds de Chicago, et tentent vainement de s'en sortir tout en justifiant leurs actes présents. Le film entier sera leur quête de rédemption, qui va s'accomplir à la fin dans l'apothéose de la très forte dernière scène.
Les oubliés
Il est difficile, même après ce panorama de laisser quelques noms de coté, parce qu'un énorme partie de leur carrière s'est faite en plein coeur du genre, souvent avec qualité. Citons pour les réalisateurs, Otto Preminger, Robert Siodmak, ou encore Fritz Lang. Les actrices ont été parmi celles les mieux mises en valeur par le Film Noir, grâce à des rôles qui vont au delà de la figuration. J'aimerais volontiers évoquer Lana Turner, Veronica Lake, ou Gene Tierney qui ont souvent imposé leur présence à l'écran.
Gene Tierney et Vincent Price dans Laura de Otto Preminger
Cet article a été écrit en grande partie grâce à l'ouvrage de référence de Patrick Brion, Le film noir, aux éditions de La Martinière.
De plus, je ne saurais que trop conseiller la série de films documentaires Martin Scorcese - Un voyage à travers le cinéma américain, disponible en DVD aux éditions de l'Harmattan, qui possède évidemment un chapitre consacré au genre. Le style passionné de Scorcese transmet toute sa culture sans modération
- Le Film Noir, acte I
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