Le vent se lève de Ken Loach
Ken Loach poursuit inlassablement son exploration des injustices sociales et politiques du monde occidental. Cette fois-ci, il s'attaque à l'Histoire de son pays et récolte avec ce vent semé une palme d'or au Festival de Cannes. Méritée ?
C'est au moins une question à laquelle je veux répondre sans en démordre, la Palme d'Or n'est pas une histoire uniquement de mérite. Seul le jury du moment, composé d'artistes avec leurs propres convictions, est juge du choix. Toutefois il n'est pas surprenant de le voir hériter de la prestigieuse récompense. Le réalisateur est un habitué du Festival, qui vient de primer pour la troisième fois un de ses films, après le Prix du jury pour Raining Stones, et le Prix d'interprétation masculine pour Peter Mullan dans My name is Joe. Le vent se lève reste dans la tradition des films de Loach, dans sa recherche visant à exposer les persécutions du peuple, en l'accompagnant par un regard sincèrement rempli d'humanité.
Dans les années vingts de jeunes irlandais se mobilisent pour défendre leur indépendance face aux troupes d'occupation britanniques. Damien, promis à un brillant avenir de médecin, va se lancer sur les traces de son fougueux frère Teddy dans la lutte.
S'il est bien un réalisateur dont je n'aime pas juger ses oeuvres en référence à sa filmographie, c'est bien Ken Loach. En reprenant inlassablement les mêmes thèmes, en s'obstinant à porter un regard tendre sur ses êtres humain dans leurs forces et leurs faiblesses, Loach revisite constamment son cinéma, mais toujours avec une passion intacte qu'il transmet avec bonheur. Pourtant, il est difficile ici de ne pas se laisser tenter par le parallèle avec Land and Freedom. Ce dernier décrit le parcours d'un anglais syndicaliste venu s'engager dans une brigade internationale combattant pendant la guerre d'Espagne. On retrouve des points communs dans ces cadres historiques, ainsi que certaines ficelles de l'intrigue: le couple formé par les deux personnages principaux et leur fin tragique, la séparation violente entre deux camps, l'un se voulant plus réaliste, et l'entraînement des miliciens.
Mais là où Land and Freedom laissait derrière lui une étrange et forte sensation de nostalgie d'une utopie abandonnée avec une balle perdue, Le vent se lève semble se contenter de laisser le spectateur seul témoin d'un univers étranger que ce soit par son lieu ou son époque. Cette distance restera tout au long des évènements, même s'il dépeint un constat amer nourri uniquement de souffrances. Il reste des moments forts qui l'expriment, comme l'introduction, où Loach nous familiarise habilement avec le contexte en suivant le déroulement de scènes de vie quotidiennes, sans chercher à planter le décor. Ici la routine est installée jusqu'au premier meurtre du jeune Micheail par les soldats anglais, coupable de ne parler que son patois. C'est un des moments clés à bien des égards. En donnant indirectement le titre anglais du film (la chanson traditionnelle chantée lors de la veillée funèbre), Loach semble vouloir insister sur une situation qui parait être prise avec fatalisme, les mort innocentes comme celles-ci se succédant et la ballade chantée rappelant qu'il reste toujours un espoir improbable que cela change. De plus les liens familiaux forts seront les raisons qui pousseront Damien, le héros, intellectuel obligé d'émigrer en Grande Bretagne pour poursuivre son ambition de médecin, à rester fidèle à son pays. Quelque soit sa volonté, il sait avec ce même fatalisme qu'il est attaché au destin funeste de ses compatriotes. Lorsqu'il devra exécuter un garçon, le conflit n'épargnant pas les plus jeunes, la mémoire de Michaeil restera sans doute la seule force qui lui permettra de tuer. Cette scène n'a pas non plus pour but de créer un malaise avec cet acte, simplement de montrer les éléments d'un conflit qui va profondément changer le caractère d'une personne qui ne voulait pas s'engager. Contrairement à la torture montrée plus tôt dans le film, elle est suffisamment évocatrice pour gêner le spectateur, plus par l'étroite relation qui s'établit entre le tortionnaire et sa victime, puis entre ce dernier et son frère, que par la mutilation.
La suite du film montre des scènes que l'on pourrait qualifier de traditionnelles dans la vision d'un conflit, certaines même rappelant tristement des moments de la seconde guerre mondiale (l'incendie de la ferme). Le final lui est beaucoup plus marquant, symbolisé par cette messe à l'église, où la perspective comme l'emplacement des protagonistes montrent définitivement la séparation des anciens amis et l'inéluctable drame qui en naîtra, avec l'achèvement de la transformation morale des personnages.
Ken Loach voulait avec Le vent se lève ramener à la conscience de sa nation ce qu'elle a fait subir à une autre et cherche à occulter. Il laisse au bout du compte simplement une belle retranscription d'une page de l'histoire, sans chercher à lui en faire dire plus. Les amoureux du réalisateur anglais seront sans doute heureux de retrouver intactes ses convictions et sa sincère tendresse envers les plus modestes, malgré une impression très pessimiste après le générique de fin. Cette nouvelle oeuvre reste très belle, sans atteindre l'impact moral qu'ont pu avoir de précédente plus marquantes.
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