[My Rock'n'Roll] The Rolling Stones - Between The Buttons

Il ne faudrait pas oublier que ceux qu'on considère comme des monuments aujourd'hui ont obtenu ce titre grâce à des disques presque parfaits et indémodables. Certains sont plus cotés que d'autres, et ce Between The Buttons souvent négligé mérite une réécoute immédiate.

Between The ButtonsEn 1966 l'Angleterre règne sur le monde. Elle vient de remporter l'unique Coupe du Monde de son histoire, on ne jure que par James Bond et Sean Connery, les Beatles viennent de conquérir l'Amérique, bref, Londres est la capitale des utopies et des modes, toutes ces choses que l'on peut voir dans Blow-Up d'Antonioni.

C'est la course aux idées dans la pop-music. Les Beach Boys de Californie viennent de sortir l'inouï Pet Sounds, les Beatles répliquent avec Revolver, les Kinks ne sont pas en reste avec leur Something Else, ça arrive de toutes parts. Sauf que pour tous ces groupes de rythm'n'blues, c'est dur. Que faire ? Durcir le son comme les Who ou les Yardbirds ? S'entêter à suivre la voie tracée par Ray Charles et John Lee Hooker, comme les Animals ? La question se pose pour les Rolling Stones. Sortant d'un Aftermath immaculé, représentant le parangon du genre, il leur faut désormais avancer.

Aiguillés par un Brian Jones toujours en avance d'une mode ou deux, ils vont s'engouffrer à toute vitesse dans le psychédélisme naissant. Inutile de rivaliser avec les Fab Four, les Rolling Stones le savent : les racines ne sont pas les mêmes, les compétences non plus. Exit les reprises de Chuck Berry, il faut désormais inventer quelque chose d'autre. Déjà, des titres avaient détonné dans leur oeuvre, des "As Tears Go By", des "Lady Jane". Mais maintenir ce genre durant tout un album, voilà qui relevait de la gageure.

Arrive pourtant ce Between The Buttons. Titre incompréhensible, pochette floue à la Rubber Soul des Beatles, annoncé par un single ouvertement sexuel, l'imparable "Let's Spend the Night Together", censuré par les radios. L'album intrigue, annoncé comme une réponse aux Beatles, voire un plagiat. Evidemment les Stones veulent leur part du gâteau. Mais leur recette à eux n'est pas la même.

N'oubliant jamais le son de Chicago qui a fait leur renommée, le groupe l'enrichit d'instruments inhabituels à l'époque (orgue d'église, carillons, piano électrique, sitar), et surtout pulvérise la structure de ses morceaux. Prenons un morceau comme "Miss Amanda Jones", écrit à propos de la juvénile Amanda Lear : extrêmement traditionnel dans son couplet braillard et grivois, il offre un refrain totalement inédit, voix doublées, piano joué à un doigt, changement de tonalité à l'appui. "Who's Been Sleeping Here" laisse la part belle aux guitares acoustiques sans jamais sonner comme Dylan ou les Beatles d'alors, grâce au piano épique de Ian Stewart. La suite d'accords de "Connection", jamais égalée par qui que ce soit (pas même par le groupe lui-même), crée un univers musical à elle toute seule.

A l'époque, tout le groupe en est conscient, le succès repose en grande partie sur le sex-appeal vocal et visuel de Mick Jagger. Sur cet album il est déchaîné. L'épatante pop-song "Complicated" lui offre l'une de ses plus belles performances avec le groupe. Incroyablement sexy, il se déchaîne dans le registre du mépris et de l'arrogance, lumineux et tellement évident. Dans "Cool Calm And Collected", sur fond de piano bastringue, de sitar électrique et de kazoo irritant, il se livre à une véritable démonstration de toute sa panoplie de séducteur débauché.

Jamais les Stones n'auront à nouveau ce niveau de sophistication dans l'écriture et surtout la composition. Prenons "Ruby Tuesday". Tout le monde peut apprécier la luminosité de ce titre, inusable même après des centaines d'écoutes. Grâce à l'équilibre parfait entre couplets et refrains, aux paroles merveilleuses de simplicité, aux harmonies douces et subtiles, ce titre est un chef d'oeuvre absolu de la musique pop. Il y a aussi dans ce disque ce titre fascinant, "She Smiled Sweetly". Entendu dans le film La Famille Tenenbaum, il s'agit d'un titre étonnamment solennel, funèbre, gothique, valse lente accompagnée d'un véritable orgue d'église, auquel répond un discret piano, le tout rythmé par la batterie épurée de Charlie Watts. Ce titre, passé aux oubliettes de l'histoire, reste terrassant quarante ans après.

On a coutume de dire que Between The Buttons est l'album des Stones préféré des fans des Beatles. C'est aussi celui qu'aiment les fans des Kinks et des premiers Pink Floyd. Les Rolling Stones, sans jamais plagier, volent à droite et à gauche, piquent des harmonies à untel, des accompagnements à tel autres. Le dernier titre du disque, "Something Happened To Me Yesterday" rappelle des dizaines de groupes, mais n'aurait pu être composé par aucun autre. C'est l'énorme force des Stones sur ce disque : arriver à faire partie intégrante d'une époque, et savoir la retranscrire en n'étant jamais dans la position de suiveurs.

Evidemment, le groupe retrouvera par la suite l'état de grâce (Beggar's Banquet ! Sticky Fingers ! Exile On Main Street !), mais jamais il ne sera jamais aussi ambitieux, novateur, et surtout, surtout, aussi brillant et précieux que dans Between The Buttons.

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