Tideland de Terry Gilliam
Avec Jodelle Ferland, Jeff Bridges, Janet McTeer... (2006)
Toujours poursuivi par le succès culte de Brazil, Terry Gilliam, après une oeuvre de commande, est de retour dans un film plus personnel et au sujet nettement moins réjouissant
Terry Gilliam est devenu depuis le temps une sorte de spectre qui hante les producteurs de cinéma, effrayés par le gouffre financier où il peut les jeter. Au point qu'on ne pensait plus vraiment le voir à la tête d'un projet suite au calamiteux Don Quichotte, dont seul restera un documentaire saisissant. Avec Les frères Grimm, il réalisa un travail de commande honorable qui a dû rassurer ses producteurs. Gilliam nous revient avec une oeuvre beaucoup plus personnelle, adaptée d'un roman écrit par Jeremy Thomas, dont il devait au départ simplement faire la préface, à la demande de l'auteur. Séduit par le livre, il décida d'en faire cette adaptation à l'écran.
La jeune Jeliza-Rose vit dans un taudis avec ses parents, droguée reconvertie à la méthadone pour la mère, toujours accroché aux paradis artificiels amoureusement préparés par sa fille pour son père. Son imagination est un refuge peuplé de contes de fées, avec comme seules amies des têtes de poupées qu'elle tient au bout de ses doigts. Les évènements vont la conduire jusqu'à la demeure d'enfance de son père, pour y vivre des rencontres et des moments qui marqueront sans doute Jeliza-Rose à jamais.
Ce film est la rencontre d'un écrivain et d'un metteur en scène dont l'ambition de faire vivre leur imaginaire, par les mots ou par les images. A tel point que les personnages de leurs aventures seront obsédés par l'univers intérieur qu'ils se construisent. Pour Terry Gilliam, la démarche est la même depuis ses premières réalisations, qu'il renouvelle avec plus ou moins de bonheur. Les rêves de Sam Lowry l'amènent à s'échapper de cette société qui l'emprisonne dans son film culte Brazil, la schizophrénie de Parry est son rempart contre un choc psychologique dans le très beau Fisher King. Même Les frères Grimm ont des raisons personnelles qui les poussent à créer des chimères.
Dans Tideland, son héroïne se construit elle aussi son propre univers, composé de ses amies têtes de poupées, et de son interprétation inquiétante des autres personnages qu'elle croise. Ici le fantasme de Jeliza-Rose n'est pas en rupture avec la réalité. Elle va se nourrir, puis vivre de façon féerique, cette situation dramatique qui ne fait que s'aggraver au cours de son histoire. Terry Gilliam construit peu à peu une sombre chute, comme le symbole récurrent d'Alice représenté par un trou de lapin et un "innocent" écureuil. Il semble vouloir nous montrer cette dérive comme pour nous prouver que la fonction morale des contes de fées (en sortant à peine des Frères Grimm l'analogie est intéressante), même s'il est aussi subversif que celui de Lewis Carroll, peut conduire à l'opposé de son rôle. Les histoires que se raconte Jeliza-Rose vont l'amener psychologiquement dans une vois sans issue.
Cette ballade sordide qui se concluant sur un final qui ne surprend pas vraiment, ma première pensée a été de se demander quel intérêt pouvait valoir démarche. Sans en abuser, un point positif, le talent visuel de Gilliam s'exprime, mais sa galerie de personnages, dans un style très "burtonien", ne m'a jamais véritablement convaincu.
En prenant soin de ne pas faire de ses protagonistes des caricatures manichéennes, Terry Gilliam semble avoir du mal à leur donner assez de relief pour élever son discours. Il ne s'agit pas ici apparemment de leur cultiver une ambiguïté, ce serait comme une hésitation à faire les basculer définitivement dans un état extrême. Alors qu'on voudrait ainsi s'attacher ou détester Jeliza-Rose, ce regard trop neutre nous laisse étranger à la scène, où la jeune héroïne ne paraîtra jamais trop innocente ou trop perverse.
Je suis resté perplexe à l'arrivée de ce voyage funèbre. Le style habituel et délirant du réalisateur ne semble pas vouloir s'imposer, encore moins s'effacer pour autre chose. Loin d'être ennuyeux ou maladroit, le film reste simplement impersonnel. Paradoxalement c'est sur un projet qui semblait le tenir à coeur qu'il exprime le moins sa présence. Pour un amateur de l'ex-Monty Python, je me sens sans doute encore un peu frustré de ne pas arriver à savourer pleinement son retour aux affaires, il restera toutefois comme une promesse que la carrière de Terry Gilliam nous accordera encore de belles surprises désormais.
Sortie en salles: 28 juin 2006
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