Jarhead de Sam Mendes
Avec Jake Gyllenhaal, Peter Sarsgaard, Jamie Foxx... (2005, sorti en DVD)
La vie quotidienne des Marines lors de la première guerre du Golfe. Une situation qui résonne étrangement à nos oreilles aujourd'hui.
Alors qu'Hollywood est à nouveau secoué par divers trublions contestataires, George Clooney en tête, Sam Mendes, l'auteur d'American Beauty et des Sentiers de la Perdition, y va lui aussi de son film anti-Bush. Jarhead est-il un Scud ou un pétard mouillé ?
1990. Un jeune un peu désoeuvré, Anthony Swofford (Jake Gyllenhaal de Donnie Darko, presque trop angélique pour le rôle), s'engage dans les Marines. Un an après, il est envoyé dans le Golfe pour y répondre à l'invasion du Koweit par les troupes de Saddam Hussein. Loin de devenir une véritable bête de guerre, il va surtout tâcher de ne pas mourir d'ennui, loin du front, et loin de sa fiancée qui semble plus qu'ambigüe en son absence.
En choisissant de montrer en ouverture de son film la formation des Marines par un sergent revêche, Mendes prend un gros risque : marcher sur les traces de Full Metal Jacket. Tout au long du film la comparaison ne manquera pas de s'imposer au spectateur, bien qu'il soit impossible de ne juger Jarhead qu'à l'ombre du colossal (bien que bourré de défauts) film de Kubrick. Il faut admettre que Mendes s'en sort bien, en raccourcissant au possible l'épisode du camp, et en ne basant pas son argumentaire sur ce seul passage. L'entraînement, ici, est dur, mais loin de la folie décrite par Kubrick.
On part ensuite en Irak. Mendes, dans un grand film hollywoodien, a tendance à ne rien édulcorer : masturbation, pornographie, alcool, violences entre Marines sont loin d'être éludées. Et c'est là la principale force du film : aucun soldat américain n'est montré comme un véritable héros, surtout pas Swofford, qui pète un plomb dans une mémorable séquence, dans laquelle Jake Gyllenhaal sort enfin de sa candeur et campe l'hystérie avec un grand réalisme. En attendant, et c'est là l'optique du film, après de longs mois passés dans le désert, on n'a toujours pas vu un seul combat...
Mendes parvient donc assez aisément à ses fins, à savoir montrer l'inutilité d'un homme dans une machine aussi complexe que l'armée américaine, et l'indifférence globale des soldats de la liberté face au peuple qu'ils sont sensés libérer. Comme le dit en substance le sergent de Swofford, éclairé par les puits de pétrole en flammes, « je pourrais gagner des millions dans un autre travail, mais je reste ici, car j'adore ce job, qui d'autre peut voir un spectacle pareil ? ». Le fantasme d'une Amérique unie dans la défense de la liberté s'éloigne, ne reste qu'une nation névrosée et spectatrice (en témoigne également l'extrait d'Apocalypse Now dans le film, la scène des Walkyries, vue par les Marines comme un hymne à l'armée américaine, en dépit de l'interprétation du film de Coppola que peut avoir n'importe quel cinéphile).
Jarhead se situe très loin de tous les films de guerre récents : rien à voir avec la pochade Les Rois Du Désert, pourtant fort engagée elle aussi, par exemple, ni même avec La Ligne Rouge, dans lequel la personnalité des soldats est finalement reléguée au second plan (ne parlons pas des purs films d'action formalistes que sont Le Soldat Ryan ou La Chute Du Faucon Noir). Non, en dehors du film de Kubrick cité ci-dessus, ce film se rapproche d'oeuvres récentes de Gus Van Zant, à savoir Elephant et Gerry. Lors des rares séquences de patrouilles, la caméra marche à hauteur d'homme, portée mais ample, suivant les soldats, à l'affût du moindre son. C'est lors de ces scènes que Jarhead atteint sa véritable profondeur, proche d'un absurde quasi-beckettien.
C'est là le principal regret que l'on pourrait avoir : Mendes, par manque de savoir-faire plus que par manque d'ambition, ne réussit pas à transformer son film en grande oeuvre absurde. Tiraillé entre des volontés documentaires visibles et un classicisme indéniable dans la réalisation, il ne parvient pas à rendre la situation des Marines surréaliste voire fantasmagorique, se contentant de rester dans une narration linéaire et minutieuse. Qualités qui font que Jarhead restera, à défaut d'être un chef d'oeuvre, un excellent document sur l'Amérique face à ses traumatismes des années 2000.
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