Une journée de L1

Un match par ci, un match par là. Le week-end, la L1 est partout. Pourquoi le samedi après-midi, pourquoi pas le dimanche matin, et pourquoi des matchs sont décalés ?
Le planning d’une journée de L1 est complexe, parce qu’il est issu de réflexions complexes…
Décryptage.

Une journée de L1, c’est quoi ?

Le championnat de première division de football français, la Ligue 1 Orange, est constitué de 20 clubs qui s’affrontent tous 2 fois dans la saison. Ce qui fait 380 matchs par an, d’août à mai. Les clubs se rencontrent environ toutes les semaines lors de « journées » pendant lesquelles toutes les équipes jouent, ce qui fait 10 matchs par journée.
Ces journées de 10 matchs sont organisées de façon stratégique selon différents enjeux.

Un décideur, le bénéficiaire : la LFP

Contrairement à une idée largement répandue, ce n’est pas Canal Plus, le groupe qui diffuse l’ensemble des images TV de la L1 en exclusivité, qui décide du planning des journées de la L1, mais bien l’organisateur de cette compétition, la LFP.
La Ligue Professionnelle de Football, dépendante de la Fédération Française de Football, est chargée par celle-ci d’organiser, gérer et réglementer le football professionnel en France. Et c’est donc cette LFP qui constitue les calendriers des compétitions dont elle a la charge (la L1 Orange et la L2).

lfp

Le calendrier d’une journée de L1 est construit en respectant des impératifs. Ceux-ci ont évolué avec le temps : avant la professionnalisation et l’ère des médias, la règle à suivre en matière de planning était l’équité sportive. L’idéal était que chaque match se déroule en même temps que les autres pour éviter que des équipes connaissent le résultat des adversaires. Aujourd’hui, l’omniprésence des médias et des enjeux financiers a bouleversé les réflexions autour du calendrier (même si les deux dernières journées, aux enjeux sportifs importants, restent elles organisées en suivant cette logique d’équité) qui suit désormais des logiques très différentes.
Exemple : la nécessité de visibilité. Afin d’utiliser au maximum la « surface vendable » que procure une journée de L1, la LFP essaie de répartir son offre d’images sur une « temporalité » large : alors qu’au minimum, en faisant se dérouler tous les matchs en même temps, une journée durerait 90 minutes, la journée-type de L1 s’étend aujourd’hui sur un intervalle de 30 heures, du samedi après-midi au dimanche soir, avec un temps de diffusion cumulé de plus de 16 heures. Cette stratégie a entraîné des hausses de gains substantielles pour la LFP.

Une journée-type de L1

Pour illustrer les tenants et aboutissants de la stratégie de la LFP, le meilleur moyen est d’étudier la journée-type de L1.
Celle-ci est construite ainsi :

Heure/Jour Samedi Dimanche
Après-midi Match décalé du samedi
1er match décalé du dimanche
1ere partie de soirée
7 matchs simultanés
2ème match décalé du dimanche
2ème partie de soirée
Magazine

Les raisons qui mènent à un tel planning sont donc, entre autres, les objectifs de visibilité et de rentabilité que poursuit la LFP lorsqu’elle vend les droits de diffusion multimédias de sa compétition phare. Comment cette répartition répond-elle à ces objectifs ?

Pour maximiser ses gains, la LFP doit faire jouer la concurrence entre les différents acheteurs de droits multimédias, et en particulier entre les diffuseurs de télévision, car la diffusion télévisée des images de la L1 est évidemment le « produit » ayant le plus de valeur. La L1 constitue un formidable produit d’appel pour les chaînes et groupes de télévision, car elle entraîne avec elle un « réservoir » de téléspectateurs gigantesque, notamment dans le cadre de chaînes à abonnement, comme en atteste la somme faramineuse de 600 millions d’euros payée par Canal Plus depuis 2005 pour diffuser les images de la compétition en exclusivité.

Pour faire jouer cette concurrence, il faut jouer sur l’équilibre entre l’offre et la demande : il faut essayer de répondre le plus possible à toutes les demandes pour attirer le maximum d’acheteurs potentiels. Plus il y a d’acheteurs, plus les prix montent. Mais il faut également faire attention à ne pas trop mettre d’offres sur le marché, car, selon une loi économique simple, si l’offre dépasse la demande, les prix baissent.

C’est pour cela que la LFP a séparé ses différents produits et constitué, avec ces produits, différents lots qu’elle met en vente dans le cadre d’appels d’offres.
Lors du dernier appel d’offres (emporté par Canal Plus), la LFP avait mis en vente quatre lots :

Un premier lot constitué du 2e match décalé, le dimanche soir à 20h45 et en direct. Ce match est le plus important de chaque journée : un match entre premiers du classement, un derby, un classico. Ce match a tellement de valeur à lui tout seul qu’il peut être mis en vente seul. En effet, la plupart des amateurs de football sont surtout prêts à payer pour pouvoir regarder les grandes affiches de chaque journée, et il est vital pour une chaîne comme Canal Plus de diffuser les grands matchs que sont les PSG-OM ou les OL-ASSE.
Le deuxième lot est constitué des deux autres matchs décalés, le premier le samedi après-midi à 17h15 en direct, le deuxième le dimanche après-midi à 18h, en direct. Ce sont les deux plus belles affiches des 9 matchs restants. Ce lot permet à la chaîne qui le détient d’offrir un produit d’une haute qualité, légèrement inférieure au lot 1, mais qui propose le double de temps de diffusion par rapport au lot 1. Elle est donc un compromis entre le qualitatif et le quantitatif.
Le troisième lot, ce sont les 7 matchs restant, le samedi soir à 20h, en simultané et en direct, à diffuser par le biais du Pay-per-view (paiement à la séance). Ce lot attire notamment les supporters qui souhaitent suivre tous les matchs de leur équipe.
Le quatrième lot est un magazine d’une heure, le samedi soir à 22h15, qui propose des résumés importants des 8 matchs du samedi (le match de l’après-midi + les 7 matchs du soir), magazine plus connu sous le nom de Jour de Foot.

public

Ces lots sont ensuite proposés aux acheteurs potentiels qui transmettent confidentiellement leurs offres à la LFP. Celle-ci étudie ces offres et rend ensuite publique leur décision pour chacun des lots.

La constitution de ces quatre lots est remarquable : le lot 3 joue la carte de la quantité et s’adresse aux bouquets satellite, aux câblo-opérateurs ou encore au FAI ; le lot 4 est un lot qualitatif s’adressant à tout acteur audiovisuel ; alors que les lots 1 et 2 ont été spécialement constitués pour faire jouer la concurrence entre les deux géants du satellite en France, Canal Plus et TPS. En effet, ces deux lots sont pratiquement d’égale valeur, et chacun permet à celui qui l’achète de s’affirmer comme « la chaîne du foot », surtout s’il est couplé avec un des deux autres lots. La stratégie de la LFP est en réalité très simple : il s’agit de faire payer Canal Plus le prix le plus fort possible. Et pour cela, elle constitue deux lots extrêmement importants que la chaîne cryptée ne peut pas se permettre de perdre sous peine de voir une grande partie de ses abonnés la quitter pour la concurrence.

Une situation conforme au marché ?

C’est ainsi qu’en 2004, lors de l’appel d’offres portant sur la période 2005-2008, Canal Plus proposait 600 millions d’euros par an à la LFP afin de diffuser les quatre lots mis en vente.
Pour la précision, l’offre de Canal Plus était répartie de la façon suivante :

Lot 1 : 220 millions d’euros par an.
Lot 2 : 210 millions d’euros par an.
Lot 3 : 110 millions d’euros par an.
Lot 4 : 60 millions d’euros par an.

Une offre représentant une manne incroyable pour la LFP et surtout pour les clubs de la L1, principaux bénéficiaires de cette somme. Une offre qui a quasiment doublé depuis le dernier appel d’offres (en 2002, Canal Plus et TPS versaient au total 375 millions d’euros par an). Une offre qui a vu la L1 française devenir plus chère que la Premier League anglaise. En effet, pour la période 2004-2007, le bouquet satellite BSkyB et la BBC doivent débourser 546 millions d’euros par an pour diffuser les joutes que se livrent les Manchester United, Arsenal, Chelsea et consorts. C’est à dire 54 millions d’euros de moins que le prix des affrontements version Olympique Lyonnais, Lille OSC et autres PSG…

Juninho

À la lumière de cette comparaison, on peut se demander si la somme de 600 millions d’euros reflète réellement la valeur du spectacle qu’offre la L1 si elle est le résultat d’une situation de concurrence particulière entre deux acheteurs potentiels.
La deuxième réponse est la bonne, comme en attestent les voix qui s’élèvent de plus en plus, critiquant le manque de spectacle en L1, notamment de la part de Canal Plus, mécontent de voir son énorme investissement récompensé par un spectacle souvent médiocre.

Une situation qui ne poserait pas vraiment de problèmes à la LFP si elle restait en l’état. Mais le projet de fusion entre TPS et Canal Plus fait planer la menace d’un monopole sur le marché des bouquets satellite. Deux rivaux qui se livraient une lutte acharnée qui deviendront une seule et même entité sans concurrent à la hauteur, c’est l’assurance de voir les revenus de la LFP baisser, surtout si le spectacle proposé ne s’améliore pas drastiquement.

On comprend mieux pourquoi la LFP a institué cette saison le challenge de l'offensive, et surtout, pourquoi elle voit d'un oeil impatient la montée des ambitions d'un acheteur potentiel, le géant des médias Orange (ex-France Télécom).

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