Jorane

Curieux mélange que nous propose cette jeune québécoise! Une voix, un violoncelle et un univers mystérieux, peuplé de fées et de fous. Pourtant, dans le creuset de son imaginaire, ces ingrédients s'agencent comme par magie pour camper le décor du formidable voyage auquel elle nous convie.

Pour l'instant composé de trois volets (Vent fou, 16mm, The You and The Now), le travail de la chanteuse Jorane ne cesse de s'enrichir au fil du temps. Les premières compositions semblent ainsi tellement sincères qu'elles en sont presque naïves. Attention, naïveté peut parfaitement rimer avec originalité ! Chaque titre forme un arc-en-ciel ou encore une bulle de savon, tellement insaisissable qu'il vaut mieux se satisfaire du spectacle que de tenter de l'enfermer entre ses mains. Peut-être pourrait-on reprocher à cet album de trop s'éparpiller, comme peuvent l'être les premiers albums d'artistes victimes de leur boulimie, voulant tout raconter en une seule fois. Alors, ce Vent Fou qui tournoie ébouriffe, certes, mais on lui pardonne, tellement il est rafraîchissant.

Le deuxième album (16mm), quant à lui, gagne en cohérence puisqu'il est soumis intégralement à cette règle : pas de paroles ! Ainsi que Jorane aime à le rappeler, la voix est un instrument comme un autre, et elle préfère parfois ne pas lui imposer le carcan d'un texte laborieux. Les vocalises qui en résultent tendent donc à se marier le mieux possible avec l'instrumentation, toujours à base de violoncelle, et à servir ses compositions échevelées. La sensation qui se dégage de l'album est encore plus onirique que pour le l'opus précédent et donne une couleur aquatique plutôt qu'aérienne.

La dernière publication, en France, regroupe un maxi CD (Evapore) sorti seulement au Québec jusque là, et le véritable troisième album de Jorane. Si l'ambition de lancer sa carrière internationale (comprendre aux USA) avec ce disque pouvait surprendre et faire craindre le pire, qu'en est-il vraiment ? Et bien, on pourrait presque accuser Jorane d'avoir vendu son âme au diable Dollar. La déception est grande, au regard des précédents albums, puisque au lieu de chercher à amener un nouveau public à son univers, elle a préféré mettre de l'eau (ou du «cola» selon la mode locale) dans son vin. Le résultat est donc en mi-teinte : le cru reste bon, car le cépage est identique, mais sur le palais, on conserve toutes les concessions faites en arrière-goût. L'exemple parfait étant la reprise d'un tube disco (I Feel Love), ou encore l'usage exclusif de l'anglais, contrastant avec ses anciens textes en français. Cependant, l'album n'en est pas mauvais pour autant.

Il reste à attendre le prochain album, qui ne devrait pas tarder, afin de statuer sur cette évolution. Jorane continuera-t-elle à dénaturer le charme originel de sa musique pour satisfaire un public plus large ? L'information selon laquelle elle s'est enfermée dans un studio juste après son retour des Indes tend à ouvrir d'autres voies. Espérons le !

Deux autres facettes de l'artiste restent à dépeindre. Tout d'abord, la scène. Cette terrible épreuve peut transfigurer n'importe quel artiste, bonifier ou anéantir n'importe quel album. Pour Jorane, c'est un merveilleux exutoire, l'océan des possibles dont elle meut les eaux. Ses prestations sont si vivantes et travaillées que l'on vibre au moindre son, à la moindre émotion dégagée. L'artiste incite même parfois le public à partager sa musique en lui faisant faire des choeurs sur lesquels elle improvise. Les morceaux sont revisitées et souvent de façon plus dynamique qu'en version studio, trait agréable pour un concert. Ses prestations scéniques complètent donc parfaitement ses disques. Il est possible de retrouver cette synthèse entre musique vivante et figée, au travers d'un album live, sorti en France en 2005 (Jorane Live).

Les musiques de film, ensuite. Jorane ne se cache absolument pas de faire une musique proche d'une bande originale. Peut-être était-ce un appel du pied ? Toujours est-il que l'artiste est courtisée de-ci de-là par le septième art. Elle compte déjà quelques 3 bandes originales complètes. N'ayant pu les entendre, je serais bien en peine de les critiquer. Gageons que son univers aura servi admirablement la cause des réalisateurs.

Artiste complète, qui ne cesse d'évoluer, Jorane reste une petite perle dans le paysage de la chanson francophone. Le mélange savoureux des textures de son violoncelle et de sa douce voix tisse la toile d'un rêve rare et précieux. Son originalité d'écriture, d'interprétation et tout simplement d'univers lui procure également un éclat inimitable. Sa carrière ne fait que débuter, et l'on se plaît à l'imaginer encore longue, ne serait-ce que pour prolonger cette ivresse mélodique où l'on plonge en compagnie de la belle.

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