Utena, la filette révolutionnaire

Utena a été diffusée en France il y a quelques années sur Gameone qui, on ne sait comment, n'a fait que des choix judicieux dans l'animation (Cowboy Bebop, Trigun, Utena, ...), contrairement à celui de ses animateurs. Le graphisme faisant DA de votre enfance (vieux quoi), on oublierait rapidement cet animé atypique (ou on regarderait uniquement parce qu'il y a des lesbiennes dedans, au choix). Grande erreur ! Il raconte l'histoire d'une lycéenne en première année, Utena Tenjô, qui contre toute convenance, des productions animées et du règlement intérieur de l'académie, porte un uniforme de garçon pour devenir un prince comme celui qui la sauva quelques années plus tôt, et lui donna une bague sertie du sceau de la Rose. Cette bague est en fait un signe de reconnaissance entre duellistes, ceux-ci s'affrontant pour décider de qui d'entre eux va révolutionner le monde...

Utena est un animé atypique en 39 épisodes dont le genre, s'il existe, se limite à deux bons titres : lui-même et Lady Oscar. L'animation est plutôt médiocre dans les détails, mais d'un style indéniable avec ces encarts de roses et ces entractes d'ombres chinoises, et la musique -comme les doubleurs japonais prestigieux de différents animés- est un des grands points forts de l'animé, réussissant à renouveler invariablement les passages répétitifs (réunion du conseil, début d'un duel, second générique de fin). Plus remarquable encore, les duellistes portent tous une bague - le Sceau de la Rose - signe manifeste d'une confrérie d'excellence. L'ensemble dégage une envie baroque de mener une vie façon "stylish" pour paraphraser le générique, que ce soit dans le vestimentaire, la musique, l'humour (fortement décalé) ou le sexe, toujours suggéré de manière provocante.

Parce que derrière son animation vieillotte et une certaine classe, Utena exulte une violence extrême, surtout morale. Au delà des moqueries typiques des lycéens et de terribles gifles, on découvre dans la première partie de l'histoire que les membres du puissant conseil étudiant -Juri, Miki, Tôga, Saionji, Nanami, comme Utena, dans un uniforme masculin assez sophistiqué- souffrent de ne pas avoir réalisé un rêve dans laquelle se confond un problème existentiel (l'art, la fraternité, l'amour, ...) et une sexualité hors-norme (inceste, homosexualité, libertinage, ...); tandis que dans l'intermède de la rose noire, partie un peu moins intéressante à cause d'une certaine routine, ce sont les objets du désir des premiers, sources de leur frustration, donc contreparties indubitablement féminines, qui explosent en sentiments négatifs (d'où la Rose "Noire").

Mais puisque ces rêves restent de l'ordre du non-dit, il n'y a que dans l'arène où les protagonistes puissent pleinement exprimer leur ressentiment. La possibilité du rêve (miracle, fantasme) est alors symbolisée par une rose que la Fiancée attache au niveau du coeur des participants, le but étant de faire choir la rose de l'adversaire, donc son rêve, et gagner ainsi la Fiancée de la Rose.
C'est pourquoi Utena remporte victoire sur victoire, parce que son rêve n'est pas que la réminiscence mélancolique du passé où un prince lui sauva la vie, mais aussi un idéal : celui de devenir comme son sauveur. D'ailleurs, Utena dispute son premier duel car elle ne pouvait supporter de voir Saionji frapper Himemiya, singeant ainsi la bonté du prince de jadis, mais par la suite ne s'intéresse nullement aux enjeux des duels, ou de son pouvoir sur Himemiya. De là naît une relation ambigüe au coeur de l'animé.

Car l'élément chaotique n'est autre que La Fiancée de la Rose, et si Himemiya cultive si soigneusement les roses des duels, c'est sans doute parce qu'elle leur apparaît comme un ersatz du rêve qu'ils poursuivent : pour Utena, rejouer son enfance et ainsi protéger "une jeune fille en détresse". Donc nécessairement, elle devient un objet de haine pour les contreparties féminines, une sorcière qui envoûte les hommes, comme l'explique plus tard le mythe du prince et de la sorcière. Dans la troisième partie de l'histoire, les membres du conseil étudiant reviennent à la charge, réunies avec leur contreparties féminines le temps d'un duel, leur côté princier ayant été éveillé par le prince d'Utena. Mais l'issue n'est jamais satisfaisante, et ils compromettent alors définitivement leurs idéaux.
Pendant un certain temps, le doute persiste sur l'identité des "Confins du monde", et l'arrivée du frère d'Himemiya, Akio, le directeur de l'académie, va encore augmenter la confusion, confusion qui se dissipera (partiellement) avant le dernier duel d'Utena, « Apocalypse ». Heureusement, le théâtre des ombres expliquent en filigrane des épisodes le sens des événements, et il suffit donc d'être quelque peu attentif pour saisir ce qui se trame.


Là où on verrait à tort un animé dont l'héroïne serait une féministe fantasque qui irait de duels en duels, Utena porte au contraire sur les relations entre les personnes et leurs désirs, sur l'inexprimable et le non-dit, comme le montre la relation Utena-Himemiya qu'on ne pourrait qualifier avec certitude. D'ailleurs, si on n'entrevoit pas cet aspect de l'animé, la fin déçoit par son goût d'inachevé, mais elle n'est que très logique au vu de la signification réelle du système de la Fiancée de la Rose. Comme le dirait Juri, "Crois aux miracles et ils se réaliseront".
Utena est disponible dans un double coffret 2x4 DVD de bonne facture chez Kaze (un peu cher pour le moment), et il est souvent en promotion ici ou là.

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